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mercredi 11 février 2015

On aurait dit une femme couchée sur le dos




On aurait dit une femme couchée sur le dos de Corine Jamar aux éditions Le Castor Astral



    Samira a tout pour être heureuse. Pour fuir un vie difficile auprès d'un père autoritaire qui voulait qu'elle prenne sa suite dans le restaurant familial, elle s'est exilée. Ella a pris son envol avec un couple d'amis, Fred et Claudie et leurs enfants, direction le soleil de la Crète. Elle est tombé aussitôt amoureuse de l'île, de cette nature encore sauvage, de la mer et de la plage protégée par cette montagne dont la forme rappelle celle d'une femme couchée sur le dos. Elle y a trouvé l'amour dans les bras d'Eleftheris, un fier pêcheur crétois. Les deux couples vont s'installer là, non loin de la plage sur laquelle a été tourné le film Zorba le Grec. Ils vont y installer une cantine, un petit restaurant de plage. Les débuts sont difficiles,  les clients rares, Samira se voit dans l'obligation de demander à Claudie et Fred de partir, ils ne peuvent vivre tous de la cantine. Ce restaurant, elle en est la cuisinière, l'âme. Cette trahison la mine, l'empêche d'être complètement épanouie alors que les affaires s'améliorent. Un soir, elle est témoin d'un meurtre,qu'elle décide de taire pour ne pas blesser son mari. Le couple vaque à ses occupations mais Samira est rongée de l'intérieur, elle ne peut pas être heureuse. Elle est soutenue par Walter un allemand installé sur l'île, ancien chef opérateur sur le film Zorba le Grec. Vieux sage bienveillant, il va prendre pour elle la figure du père.



   Le coeur de ce roman bat, vibre au rythme de celui de la Crète. L'île en est le décor, l'âme, un personnage à part entière. Le roman se lit comme une tragédie grecque dans son déroulement. Le lecteur est le témoin de la faute ( la trahison, le meurtre caché) et de ses conséquences. Samira est persuadée que tout ce qui lui arrive de négatif est lié à ses actes, que c'est une sorte de punition des dieux omniprésents sur cette terre mythique.  On  assiste à son long chemin vers une éventuelle rédemption. Le décor de la Crète est primordial, ce soleil, la mer, la montagne, les éléments parfois rudes qui forgent le caractère, l'âme crétoise, sa fierté, son indépendance. Une Crète dont l'équilibre, comme celui de Samira est menacé, en passe de perdre son caractère sauvage sous les assauts des bétonnières des promoteurs.


 
   On aurait dit une femme couchée sur le dos est un  roman passionnant qui se lit d'une traite. Un roman qui traite des thèmes universels  de la faute, de la culpabilité, de la rédemption dans le cadre même des tragédies antiques. Un roman dépaysant par les somptueux paysages décrits, entre mer et montagne. Les personnages sont touchants, portés par l'âme de l'île.Un roman à la construction originale puisque le narrateur en est le fils de Samira et d'Eleftheris, ce fils qui refuse de montrer le bout de son nez tant que Samira n'est pas en paix. Une belle découverte.


   "C'est étrange cette différence qu'il y a entre l'homme et la nature. Même quand la nature fait du mal aux hommes, que la mer les engloutit dans une tempête, que les arbres frappés par la foudre les écrasent, que la montagne les précipite dans un ravin, même quand elle se met en colère, la nature reste belle, et pas l'homme. La laideur qui déforme les traits du visage haineux du meurtrier est peut-être la punition que lui infligent les dieux. Une marque d'infamie."





samedi 31 janvier 2015

Esprit d'hiver



Esprit d'hiver de Laura Kasischke aux éditions Livre de poche



     C'est le matin de Noël et Holly, comme chaque année a beaucoup de choses à préparer. La famille et les amis vont arriver. Pourtant, bizarrement, elle se lève tard. Bizarrement, Tatiana n'est pas venue les secouer comme chaque année, impatiente d'ouvrir ses cadeaux. Quand elle s'est levée un peu plus tôt, sa fille dormait paisiblement, mais pourquoi Holly s'est-elle recouchée. Son mari, lui, part de mauvaise humeur chercher ses parents à l'aéroport. Holly ne se lève pas dans les meilleures dispositions, un sentiment de malaise l'oppresse.

      "Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux."

     Holly a besoin d'écrire cette phrase, de poser des mots sur ce qu'elle ressent pour comprendre, mais ce matin elle n'a pas le temps.  Cette phrase la hante. Tatiana n'est pas leur fille biologique. Très jeune Holly a dû subir une ablation des seins et des ovaires pour ne pas mourir de la même maladie que sa mère et sa soeur. Quand le désir d'enfant s'est fait ressentir, le couple a décidé de se rapprocher d'un orphelinat sibérien pour adopter. Tout en essayant d'activer les préparatifs, Holly se souvient de toutes les étapes de leur vie avec Tatiana, de leur première visite à l'orphelinat, de comment ils ont eu le coup de foudre pour cette enfant de dix-neuf mois aux si grands yeux.


    "Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux."


    Treize ans qu'ils vivent ensemble. Aujourd'hui Tatiana a quinze ans et elle n'est pas comme d'habitude. Alors que sa mère se débat avec les préparatifs, lui demandant son aide, Tatiana ne cherche que l'affrontement. Comme si Holly avait besoin de ça. Elle se sent déjà assez angoissé et n'a toujours pas le temps d'aller écrire cette phrase qui la mine, de l'écrire pour savoir, pour comprendre cette terreur sourde qui l'étreint. Et dehors le blizzard fait rage, s'intensifie. Non ce Noël ne sera pas comme les autres.


    Esprit d'hiver est une roman angoissant, asphyxiant, on ressent cette atmosphère étouffante générée par l'angoisse de Holly presque physiquement. Cette impression à l'intérieur de ce huis clos est encore renforcée par cette neige à l'extérieur qui recouvre tout, qui bloque tout. Une couche de neige qui bloque les issues. On sent l'horreur psychologique monter, on sait qu'on ne pourra y échapper. Un roman qui distille l'angoisse avec précision, par petites touches, faisant monter ce sentiment d'étouffement petit à petit. Laura Kasischke est une pointilliste de l'angoisse. Un thriller psychologique d'une efficacité redoutable qui continue de nous hanter une fois la dernière page refermée.

   "C'était là maintenant, dans cette pièce avec elles, et c'était terrifiant, oui mais il n'était plus question de terreur. La terreur, c'était la lente approche du chat blessé, traînant ses pattes arrière en traversant la cour. La terreur c'était le silence, après avoir entendu sa mère gémir derrière une porte close. Il y avait de la terreur dans ce silence car il restait encore une chance de refuser les faits."


vendredi 16 janvier 2015

La confusion des peines



La confusion des peines de Laurence Tardieu aux éditions Le livre de poche





     L'année 2000 est une année noire dans la vie de la narratrice. Cette année voit la mort de sa mère et l'incarcération de son père, dirigeant de la CGE pour corruption. Une année sur laquelle la chape de plomb du silence pèse dans la famille. Il ne faut surtout pas en parler. Un silence que la narratrice veut briser, et pour elle, écrivain la seule façon de briser le silence puisque personne ne parle, c'est de faire un livre de cette vie  marquée par le silence, le non dit . Et pour cela, pour la première fois, elle va désobéir à l'interdit paternel.


   "Tu ne veux pas que j'écrive ce livre. Tu me l'as dit. Tu me l'as demandé. Tu y avais pensé toute la soirée, toute la nuit, tu ne voulais pas. Ou, plus précisément, tu ne voulais pas que je l'écrive maintenant. Ce livre, Laurence, tu l'écriras quand je serai mort. Voilà ce que tu m'as dit."


   Avant la chute, Laurence voyait son père avec ses yeux de petite fille, elle l'idéalisait, ce père si intelligent, si fort, une force toute en douceur, toute en sourire, mais une force indéniable. Mais déjà dans ses moments heureux de l'enfance, le silence régnait, il ne fallait surtout pas se parler d'amour, surtout pas s'exhiber. C'est ce silence qui décrit le mieux les relations dans cette famille.


   "Comme toujours tu ne disais rien. Tu caches. Tu n'exprimes pas. Toujours le sourire, la douceur, l'enveloppement. Pas de problème, il n'y a pas de problème, jamais. Moi aussi avec toi je cache. Je tais. Je ne dis pas. Je formule des phrases , je prononce des paroles, mais pas celles que je voudrais te dire, celles que je porte en moi, qui sont ce que je vis, ce que j'éprouve, qui me définissent. Avec toi je contourne. Je fais semblant. Je passe à côté de moi."


   La condamnation du père va intervenir comme un séisme, une déflagration, le monde de Laurence, tout ce en quoi elle croyait va s'écrouler. Le père va subir et faire subir à sa famille une double peine, celle de son incarcération avec tout ce que cela comporte comme douleur, et celle du silence qui va l'englober, l'amplifiant, la doublant. Elle ne comprend pas, elle ne comprend plus. Par ce livre, en brisant le silence, c'est de son père tant aimé qu'elle veut se rapprocher. C'est de cet être imparfait qu'elle veut se rapprocher. Et le seul moyen pour elle de le faire c'est l'écriture. C'est par l'écriture de ce livre qu'elle va comprendre ce père, le faire tomber de son piédestal pour l'aimer encore plus.



   Ce superbe livre, est une magnifique lettre d'amour d'une fille son père. Un amour adulte, un amour débarrassé de toutes les idéalisations de l'enfance. Par ce livre la petite fille devient une femme, en cassant cette image du père parfait. Un texte porté par le style de Laurence Tardieu. Une écriture vivante, vibrante. L'écriture  du coeur, une écriture qui bat, qui palpite qui saigne. Encore une fois vous m'avez bouleversé Laurence.


   "Mais moi je n'en veux pas des vraies histoires, elles ne m'intéressent pas les vraies histoires, écrire ça n'est pas raconter des histoires, c'est tenter d'atteindre la lisière de la vie, cette matière-là mouvante, violente, imprévisible, or la vie ce n'est pas une histoire, la vie ça ne se déroule pas, ça ne passe pas, ça se tord, ça hoquette, ça n'a ni début, ni milieu, ni fin, pas de personnages, ce sont des corps qui avancent, qui tombent, qui aiment, qui ne savent pas, on avance tous en titubant, et personne n'en sort indemne, on finit tous par mourir."


mardi 13 janvier 2015

Pardonnable, impardonnable




Pardonnable, impardonnable de Valérie Tong Cuong aux éditions JC Lattès


   Alors qu'il était sous la responsabilité de sa jeune tante, Marguerite, Milo, douze ans est victime d'un accident de vélo. C'est en sortant de chez le notaire pour une donation secrète que Jeanne, la grand-mère, Céleste, la mère, et Lino le père sont mis au courant. Milo a été transporté à l'hôpital inconscient, il est toujours dans le coma, victime d'un traumatisme crânien qui peut se révéler lourd de conséquences. Cet accident va être un séisme pour cette famille apparemment unie, un séisme aux multiples ondes de choc.

   Pendant que Milo se bat pour sa vie, pour sortir de l'inconscience, sa famille se délite. Les langues se délient, les reproches fusent, les vieilles histoires remontent à la surface, inexorablement. Milo est sur son lit d'hôpital mais c'est sa famille qui se meurt, victime des rancoeurs trop longtemps tues, du mensonge et du poison à lente action du secret.


    "Je sais aujourd'hui qu'il faut se méfier de l'euphorie. Elle nous transporte loin des monstres qui nous hantent, loin des dangers qui guettent, si loin qu'on ne revient jamais plus les affronter. On se croit tiré d'affaire, passé à autre chose. On décrète les dossiers classés, tandis qu'ils nous consument lentement."


   "Famille je vous hais" écrivait André Gide. La famille   ce lieu qui devrait être protecteur et qui parfois est si destructeur, machine à broyer les individus alors qu'elle devrait les soutenir, les accompagner dans leur développement.


  Tour à tour, Céleste, Lino, Jeanne et Marguerite viennent nous livrer leur réflexions, leurs états d'âme lors des différentes étapes qui vont les mener vers le pardon, la colère, la haine, la vengeance, l'amertume et enfin le pardon. Car c'est du pardon qu'il est question dans ce livre. Le pardon si difficile parfois à accorder car le chemin est long et douloureux pour y parvenir, mais quel soulagement quand on y arrive.


   Ce roman poignant, intense, fort nous touche car il est universel. Nous sommes tous issus de familles plus ou moins aimantes, plus ou  moins dysfonctionnelles. Un roman qui nous touche au coeur. Une écriture directe, violente, sans fard qui exprime toute l'intensité de la douleur que peuvent nous causer les gens qui nous aiment ou sont censés nous aimer et le courage qu'il faut pour pouvoir pardonner. Pour moi, Pardonnable, impardonnable est le meilleur des romans de Valérie Tong Cuong que j'ai lus et j'avais déjà  beaucoup aimé les précédents.