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mardi 10 février 2015

Zoé




Zoé de Alain Cadéo aux éditions Mercure de France


   Henry est un vieux loup solitaire. Il vit dans un fort isolé à dix kilomètres du premier village. Il passe ses journées à écrire et à sculpter des rochers, il en fait ses gardiens. Tous les deux jours il se rend au village pour acheter son pain. Depuis quelques temps une nouvelle vendeuse égaie le magasin. Zoé, jeune fille avenante de dix-huit ans, aimable avec tout le monde, elle a toujours le sourire. Henry se prend d'affection pour elle.


   Très vite Zoé va s'intéresser à ce vieil homme, le seul, gentil,  qui ne lui adresse pas de propos sur son physique avantageux, sur sa mise élégante. Elle va commencer à lui écrire des messages. Ses billets elle les insère dans la miche de pain qu'Henry à l'habitude d'acheter. Henry, ravi lui répond et très vite l'habitude s'installe chacun y trouvant son compte.  Zoé lui raconte sa vie, lui pose des questions, petit à petit elle lui révèle ses failles. Henry lui fait de longues réponses qu'elle ne comprend pas toujours mais la bienveillance du vieil homme à son  égard la rassure. Pour Henry, Zoé illumine ses vieux jours, lui redonne goût à la vie, il redevient (un peu) plus sociable pour être avec elle  le plus longtemps possible quand il vient chercher son pain.


    "Depuis que Zoé et moi échangeons nos écrits, j'ai la bonne impression d'avoir brisé ma solitude. Elle est avec son écriture ronde, une petite boule de tendresse et d'originalité versée dans le café noir de ma mélancolie. Quand je vais à la boulangerie, c'est un réconfort de la voir exister au milieu des autres. Plus personne ne fait attention à moi. On ne me regarde plus de travers. je suis enfin un vrai client, un habitué. Notre minute est devenue quart d'heure. Elle joue, rien que pour moi, son numéro parfait de boulangère."


   " J'aime les lettres d'Henry. Je ne comprends pas toujours tout mais j'aime la musique de ses mots. J'entends sa voix quand je le lis. Et je peux lire et relire, je trouve toujours autre chose derrière chaque phrase. Moi c'est plus simple je lui raconte ma vie, un peu comme ce que je me raconte à moi dans mon cahier mauve."


   Ce roman raconte la rencontre de deux êtres, de deux solitudes. Zoé est telle qu'Henry aurait aimé demeurer. Elle a la gentillesse naïve elle ne se méfie pas des gens. C'est une  rencontre  autour des mots, une rencontre tissée par les mots qui ne peut exister que par ces mots Ce roman est aussi  un roman sur l'écriture. L'écriture qui nous permet de définir nos vies, d'en assembler les pièces pour en compléter le puzzle, d'y mettre de l'ordre. Henry se voit comme un dentelier, comme un tisserand qui se sert de la trame des mots pour tisser sa vie. Alain Cadéo nous livre un roman tendre, juste porté par un style plein de poésie. Une très belle découverte.

   "Quoi qu'il arrive, n'oubliez pas : rien ni personne n'a le  pouvoir de saccager l'innocence. Quoi qu'il arrive nous devons nous battre pour préserver notre aptitude à la Joie."


   "Nos vies sont toutes de sable, nos vies sont toutes des fables et c'est seulement dans la manière de les conter que se dévoilent leurs lumineuses trames."



vendredi 16 janvier 2015

La confusion des peines



La confusion des peines de Laurence Tardieu aux éditions Le livre de poche





     L'année 2000 est une année noire dans la vie de la narratrice. Cette année voit la mort de sa mère et l'incarcération de son père, dirigeant de la CGE pour corruption. Une année sur laquelle la chape de plomb du silence pèse dans la famille. Il ne faut surtout pas en parler. Un silence que la narratrice veut briser, et pour elle, écrivain la seule façon de briser le silence puisque personne ne parle, c'est de faire un livre de cette vie  marquée par le silence, le non dit . Et pour cela, pour la première fois, elle va désobéir à l'interdit paternel.


   "Tu ne veux pas que j'écrive ce livre. Tu me l'as dit. Tu me l'as demandé. Tu y avais pensé toute la soirée, toute la nuit, tu ne voulais pas. Ou, plus précisément, tu ne voulais pas que je l'écrive maintenant. Ce livre, Laurence, tu l'écriras quand je serai mort. Voilà ce que tu m'as dit."


   Avant la chute, Laurence voyait son père avec ses yeux de petite fille, elle l'idéalisait, ce père si intelligent, si fort, une force toute en douceur, toute en sourire, mais une force indéniable. Mais déjà dans ses moments heureux de l'enfance, le silence régnait, il ne fallait surtout pas se parler d'amour, surtout pas s'exhiber. C'est ce silence qui décrit le mieux les relations dans cette famille.


   "Comme toujours tu ne disais rien. Tu caches. Tu n'exprimes pas. Toujours le sourire, la douceur, l'enveloppement. Pas de problème, il n'y a pas de problème, jamais. Moi aussi avec toi je cache. Je tais. Je ne dis pas. Je formule des phrases , je prononce des paroles, mais pas celles que je voudrais te dire, celles que je porte en moi, qui sont ce que je vis, ce que j'éprouve, qui me définissent. Avec toi je contourne. Je fais semblant. Je passe à côté de moi."


   La condamnation du père va intervenir comme un séisme, une déflagration, le monde de Laurence, tout ce en quoi elle croyait va s'écrouler. Le père va subir et faire subir à sa famille une double peine, celle de son incarcération avec tout ce que cela comporte comme douleur, et celle du silence qui va l'englober, l'amplifiant, la doublant. Elle ne comprend pas, elle ne comprend plus. Par ce livre, en brisant le silence, c'est de son père tant aimé qu'elle veut se rapprocher. C'est de cet être imparfait qu'elle veut se rapprocher. Et le seul moyen pour elle de le faire c'est l'écriture. C'est par l'écriture de ce livre qu'elle va comprendre ce père, le faire tomber de son piédestal pour l'aimer encore plus.



   Ce superbe livre, est une magnifique lettre d'amour d'une fille son père. Un amour adulte, un amour débarrassé de toutes les idéalisations de l'enfance. Par ce livre la petite fille devient une femme, en cassant cette image du père parfait. Un texte porté par le style de Laurence Tardieu. Une écriture vivante, vibrante. L'écriture  du coeur, une écriture qui bat, qui palpite qui saigne. Encore une fois vous m'avez bouleversé Laurence.


   "Mais moi je n'en veux pas des vraies histoires, elles ne m'intéressent pas les vraies histoires, écrire ça n'est pas raconter des histoires, c'est tenter d'atteindre la lisière de la vie, cette matière-là mouvante, violente, imprévisible, or la vie ce n'est pas une histoire, la vie ça ne se déroule pas, ça ne passe pas, ça se tord, ça hoquette, ça n'a ni début, ni milieu, ni fin, pas de personnages, ce sont des corps qui avancent, qui tombent, qui aiment, qui ne savent pas, on avance tous en titubant, et personne n'en sort indemne, on finit tous par mourir."


samedi 3 janvier 2015

F 84.5





F 84.5 de Camille Cornu chez Jacques Flament Éditeur


   La narratrice ne va pas bien, elle va consulter, le diagnostic tombe.

   "J'allais mal, d'ailleurs je n'allais nulle part. Quelque chose en moi se rebellait. Le cerveau et ses divergences se sont retrouvés enfermés, décortiqués. Je fus déclarée autiste, c'est à dire beaucoup trop saine d'esprit pour une société pervertie. Ma seule guérison était de changer le monde, sous les pavés la plage, réédition."

   On lui propose de rentrer dans un programme d'étude à Saclay dans un établissement renommé pour sa recherche sur l'autisme. Au début elle y voit une chance, une chance de faire comprendre ce qu'elle vit , d'affirmer sa différence, de faire changer les choses. Malheureusement la psychiatrie, comme la médecine a une fâcheuse tendance à ne voir que la pathologie, à enfermer les personnes dans des cases à en faire des sujets d'études sans prendre en compte leur individualité, leur vécu, leurs aspirations. Elle n'est qu'un numéro de dossier F 84.5. Elle se bat mais la machine à broyer les individus, surtout les individus différents est si forte.

   "Ils ne disent pas cobaye ils savent un peu parler. Vous n'êtes presque plus la personne. Le sujet vient passer des tests pour remplir les dossiers des chercheurs et après c'est l'heure de la pause déjeuner des médecins alors le sujet peut rentrer chez lui. Mais le sujet avait toute une liste de questions, parce que ça ne va pas du tout. Saya et Calypso s'entremêlent et soudain c'est tout flou. Mais ici nous oeuvrons pour la recherche et le bien-être des autistes futurs , alors celui de nos sujets vous comprenez c'est une tocade. Et le sujet est seul pour apprendre à se re-métamorphoser en personne.

  La science, les journalistes, donc la société ne voient les autistes que comme une pathologie, un groupe, un minorité. On s'imagine souvent l'autiste comme emmuré en lui-même ou alors avec des capacités exceptionnelles, style Rain Man, mais il y a autant d'autismes que des personnes autistes, ce sont avant tout des individus, des personnes, c'est d'ailleurs comme ça que l'auteure se nomme "la personne" avec leurs sentiments leurs aspirations.

   Dans ce récit, dans ce roman,  c'est à un apprentissage qu'on  assiste, un apprentissage de soi, de son rapport à soi et au monde. C'est une vie de femme qui nous est décrite, une femme avec ses amours, ses questionnements.  C'est un combat aussi, un combat contre les clichés, contre la  mise en case si pratique, si définitive, si clivante et qui ne résout rien. Le style si singulier, si rythmé, si scandé, si incantatoire de l'auteure  nous entraîne dans sa danse de vie, dans sa danse d'amour, dans une danse pour exprimer qui elle est, pas une pathologie, pas un archétype, une personne qui aime, qui vibre, qui vit fort. Un livre coup de poing, un livre coup de coeur!

   "Je suis un être humain. Je suis une femme, je suis autiste. Je suis homosexuelle. Je suis Française . Je suis cobaye, je suis floue. Je me cherche, je trébuche  en tentant de sauter à pieds joints dans une case, une étiquette, marelle de l'identité. Il faudrait que quelqu'un m'appelle, il me faudrait un regard amoureux. Il me faudrait sortir des souvenirs d'un amour qui dévorent le présent"

  "Stigmatisation! : je ne regarde pas dans les yeux, j'ai une voix particulière, je fixe certains détails, ça suffit à terroriser les gens. Certains mots sont dangereux! : handicap, maladie, déficience. Différence aussi! : aveu de non normalité. Juste une configuration singulière, un fonctionnement spécial, comme un ordinateur qui aurait une configuration différente, on ne peut pas mettre exactement les mêmes logiciels, mais d'autres qui auront les mêmes fonctions. Il faut juste prendre la peine d'apprendre à les manier. Et les autistes sont pas fournis avec le mode d'emploi, mais on peut se renseigner un minimum."